lunes, 12 de septiembre de 2016

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris XXXIII

Enivrez-vous

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : " Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. "

(Embriagaos

Hay que estar siempre borracho. Todo consiste en eso: es la única cuestión. Para no sentir la carga horrible del Tiempo, que os rompe los hombros y os inclina hacia el suelo, tenéis que embriagaros sin tregua.

Pero ¿de qué? De vino, de poesía o de virtud, de lo que queráis. Pero embriagaos.

Y si alguna vez, en las gradas de un palacio, sobre la hierba verde de un foso, en la tristona soledad de vuestro cuarto, os despertáis, disminuida ya o disipada la embriaguez, preguntad al viento, a la ola, a la estrella, al ave, al reloj, a todo lo que huye, a todo lo que gime, a todo lo que rueda, a todo lo que canta, a todo lo que habla, preguntadle la hora que es; y el viento, la ola, la estrella, el ave, el reloj, os contestarán: "¡Es hora de emborracharse! Para no ser esclavos y mártires del Tiempo, embriagaos, embriagaos sin cesar. De vino, de poesía o de virtud; de lo que queráis."
)